En l'état, nous ne participerons plus au comité de suivi du projet du futur incinérateur de déchets, les raisons :

Septembre 2022 : tout avait pourtant bien commencé

Le Syded 87, Évolis 23 et Limoges Métropole ont constitué une Entente Intercommunale pour proposer une nouvelle solution pour le traitement des déchets en remplacement de l'incinérateur   installé en 1986 en milieu urbain à Beaubreuil et arrivant en fin de vie.

Du 12 septembre au 15 octobre 2022, l’Entente Intercommunale a lancé une concertation préalable posant l'opportunité de création d’un nouvel incinérateur, concertation sous l'égide de la Commission Nationale du Débat Public qui a nommé 2 garantes du débat public chargées de créer les conditions d’un débat transparent.

Pendant une période s'étendant sur six semaines, au sein des départements de la Haute-Vienne et de la Creuse, à travers huit réunions mobilisant plus de quatre cent cinquante participants, ainsi que dix rencontres de proximité ayant rassemblé plus de quatre cents individus, des dizaines de questions et de contributions ont émergé. Ces occasions d'interaction ont révélé un intérêt substantiel de la part du public, signifiant également une demande accrue en matière d'information.

Cette concertation s’est déroulée dans un climat respectueux, qui a favorisé le dialogue et les échanges entre les participants et les porteurs du projet, avec un dialogue constructif sans opposition de principe sur l'éventualité d'un nouvel incinérateur.

Ces temps d’échange ont également permis de faire remonter plusieurs points qui sont restés en débat, notamment en ce qui concerne :

  • la nécessité d'un vrai plan de prévention, de tris et de revalorisation des déchets pour déterminer la capacité  nécessaire de la future installation.
  • la faiblesse de la réflexion sur les impacts sanitaires et environnementaux du projet.
  • le choix préférentiel fait au préalable de la concertation par l'Entente Intercommunale  de la construction du nouvel incinérateur sur la parcelle existante a faussé le débat et fait apparaître les autres lieux d’implantation possible définis dans le dossier de concertation comme de simples faire valoir du choix préférentiel.

 

Novembre 2022 : les Garantes du débat public (Mme Ganiage et Mme Trebaol) tirent le bilan de la concertation

Ce bilan rédigé par les garantes de la concertation est communiqué dans sa version finale le 29 novembre 2022 sous format PDF non modifiable.

Les enseignements clefs de la concertation

 Si la concertation s’est déroulée dans un climat d’écoute et de dialogue, elle est exigeante pour la suite. Le titre même donné à la concertation a été en effet jugé comme trop « incolore » en n’utilisant pas le terme d’incinérateur plus parlant pour le public qu’unité de valorisation énergétique.

 De manière globale, le projet n’est pas contesté dans son principe. L’idée que la totalité des ordures résiduelles puisse avoir disparu à l’horizon du projet paraît trop incertaine et le projet est ainsi perçu par la plupart de ceux qui se sont exprimés comme une solution nécessaire à défaut d’être souhaitée.

De la concertation, les garantes du débat public font ressortir plusieurs préoccupations.

1)  la nécessité d'un vrai plan de prévention de tris et de revalorisation des déchets doté d'un plan de financement, c'est-à-dire une politique de prévention plus active et volontariste, notamment au niveau de Limoges Métropole, avec plus d’efforts pour encourager les habitants à réduire leur production de déchets et à réduire le volume de déchets résiduels.

  • l'efficacité de la tarification incitative reconnue s'appuyant entre autres sur des expériences concrètes en Creuse et en Haute-Vienne devrait être généralisée sans attendre.

Cette demande s'appuyant sur l'évolution des lois (loi AGEC, responsabilité élargie des producteurs...) conduit à une interrogation sur les volumes de déchets résiduels à incinérer, cette interrogation pose la question du dimensionnement de l’usine et de la capacité d’évolution de l’équipement.

2) Les impacts sanitaires et environnementaux.

Ils ont fait l’objet d’un grand nombre de questions sur leurs connaissances, leurs mesures, les dispositifs et contrôles mis en place pour les limiter.  Le risque sanitaire jugé ''acceptable au vu des connaissances actuelles'' pose des interrogations, d'autant qu'il n'y a pas eu d'information relative aux répercussions sur la santé et à la qualité de vie des riverains de l'incinérateur depuis le début de son exploitation en 1989, aucune donnée d’enquêtes de satisfaction ne sont fournies.

  • Des inquiétudes se sont plus particulièrement manifestées sur les effets des particules rejetées à faibles doses, le dossier n’informe pas sur la nocivité de molécules émises qui ne tolèrent aucun autre seuil que zéro, comme les perturbateurs endocriniens (mercure, plomb, cadmium, PCB, dioxines bromées PBDD/F) et autres particules non encore réglementées qui ont des impacts sanitaires avérés (ex : particules ultrafines) …, les effets cocktail de ces molécules sont occultés… Plus d’information est attendue sur ce terrain.

3) La question du bruit, des odeurs et des impacts environnementaux revient également de manière régulière, évidemment notamment à proximité de l’installation actuelle.

4) Sur la localisation du projet : la volonté exprimée de manière récurrente fut que l'installation d’incinération devrait absolument être éloignée de zones d’habitations, de crèches, collèges, lycées. Le choix préférentiel fait au préalable de la concertation par l'Entente Intercommunale de la construction d’une nouvelle unité de valorisation sur la parcelle existante a faussé le débat (les participants n'ayant pas les éléments pour faire des propositions de lieu précis).

5) Continuer la concertation avec l’accompagnement d’un garant.   

 


Le 29 novembre 2022, les garantes de la concertation ont transmis au responsable du projet le bilan de la concertation ; sur plus de 80 pages, elles ont exprimé des demandes ou recommandations en étayant notamment les points ci-dessus.

Qu'en est-il ressorti ?

En mars 2023, le bilan de la concertation a été adopté par les trois instances décisionnelles (Limoges Métropole, le SYDED 87 et Evolis 23) et pris un certain nombre d'engagements. 

Mais, dans la foulée, elles ont acté la poursuite du projet et lancé un marché public global de performance qui réunit les prestataires de la conception, réalisation, construction, exploitation, entretien et maintenance, Limoges Métropole a été chargée d'assurer la maîtrise de l'ouvrage de l'ensemble.

Engagements actés de l'Entente à l'issue de la concertation

Ces engagements qui se veulent définitifs seraient d'après les représentants de l'Entente le résultat de ce qu'ils ont retenu de la concertation

En reprenant point par point :

1) Objectifs de réduction de déchets ménagers produits par une meilleure prévention, réutilisation et recyclage devant conditionner le dimensionnement du futur incinérateur.

            Engagements actés

  • « ...Aucune nécessité de donner plus de moyens financiers pour la prévention, d'après l'Entente il n'existe pas d'étude démontrant une corrélation entre charges financières de prévention et diminution de déchets ménagers (p29 bilan)
  • Engagement de réétudier à la baisse les prévisions de déchets incinérés pour « 2040 et 2050 »
  • la tarification incitative généralisée (malgré son efficacité reconnue), n'est pas d'actualité pour Limoges Métropole qui reste sur des actions basées sur la responsabilité de chacun ( notamment pour les biodéchets et une augmentation du ramassage de poubelles bleues du tri par rapport aux poubelles noires des OMR ).(p 32bilan)
  • La maîtrise de l'ouvrage s'engage pour un futur incinérateur qui pourrait être inférieur à 100 000 tonnes/an. (p33 bilan)... »

Localisation du projet. 

Les responsables de la maitrise de l'ouvrage ont bien entendu les ''craintes'', mais, comme les y autorise la loi, ils font le choix de confirmer le scénario préférentiel pour le nouvel incinérateur, c'est-à-dire à Beaubreuil. (p33 bilan). L'argument financier est mis en avant (existence déjà de toutes les infrastructures et réseaux). 

La question du bruit, des odeurs et des impacts environnementaux.

  • Création d'un « jury de nez » composé de 10 riverains volontaires
  • La maîtrise de l'ouvrage s'engage à travailler sur l'étude de mise en place de silencieux
  • La maîtrise de l'ouvrage souhaite s'inscrire dans l'exemplarité environnementale

Impacts sanitaires.

  • Les meilleures techniques disponibles seront déployées en suivant la directive européenne relative aux émissions industrielles appelée directive IED.
  • Pour aller plus loin, l'Entente intercommunale pourrait se porter volontaire si des études scientifiques complémentaires étaient lancées sur le territoire national.

 Continuer la concertation

  • La maîtrise de l'ouvrage ne souhaite pas poursuivre le travail sous l'égide de la Commission nationale du débat public qui avait nommé 2 garantes chargées de créer les conditions d’un débat transparent.
  • L'Entente s'engage à poursuivre un dialogue continu avec la mise en place d'un comité de suivi comprenant des riverains, des associations environnementales, un site internet, et des lettres d'information.

 

21 septembre 2023, 1ère réunion du comité de suivi.

  • Le directeur de la prévention et la gestion des déchets de Limoges Métropole qui, au nom du marché public global de performance, a la charge d'assurer la maîtrise de l'ouvrage de l'ensemble (réalisation, construction, exploitation, entretien et maintenance), a tenu à préciser les limites du comité de suivi.
  • « .. Ne peut être débattu, car définitivement acté ni les plans réduction de déchets ménagers, ni le dimensionnement de l'incinérateur, ni sa localisation...
  • Et d'après lui « ...le comité de suivi c’est déjà de l'information descendante, et à chaque avancée, avoir le retour du comité de suivi (c'est intéressant) ... »

Commentaires

Limoges Métropole qui au nom du marché public global de performance a la charge d'assurer la maîtrise de l'ouvrage annonce la fin de la concertation dans la transparence garantie par la CNDP et fait le choix, à de rares aménagements à la marge du projet, de camper sur ses positions initiales d'avant la concertation.

 Limoges Métropole renonce à ses engagements de septembre 2022.

 À quoi a servi la concertation ?  6 semaines de débats pour avoir un site internet, un jury du nez et un comité de suivi qui n'est qu'une chambre d'enregistrement de décisions prises ailleurs...

 Le lieu de l'implantation pose un problème de santé publique

Alors que les effets de la pollution atmosphérique sont de plus en plus montrés du doigt dans le développement de maladies graves et notamment de cancers, décider de maintenir pour 40 ans l'incinérateur à Beaubreuil dans une zone fortement urbanisée avec crèches, collèges, lycées sans études préalables, précises et circonstanciées sur les effets sanitaires pour les populations concernées notamment de Beaubreuil pose une interrogation.

Cette interrogation s'appuie sur le refus, depuis près de 20 ans,  de  faire une étude sur les effets cumulés des pollutions des rejets de l’incinérateur, de la proximité de l’autoroute A 20, des installations des Zones artisanales et industrielles sur les populations  de Beaubreuil, Le Palais-sur-Vienne et Rilhac... pourtant une étude de 2005 de Mme Anne-Hélène Liebert Ingénieur Eau et Environnement ENSIL, préfacée par  M Jean JAOUEN IGS DDASS de la Haute-Vienne attire l'attention sur le risque réel existant pour les populations concernées. Lors de plusieurs Commissions de suivi de l'incinérateur (CSS) depuis plus de 10 ans nous demandons qu'une telle étude soit programmée. Le refus permanent de Limoges Métropoles oblige à s'interroger.

Aujourd'hui l'incinérateur du projet utilisera les meilleures techniques disponibles dans le respect des directives européennes. Mais un incinérateur moderne  respectant au plus près toutes les normes et exigences européennes continue à rejeter des particules dans l'air, d'autant que  la réglementation ne tient compte que de certains polluants dits les plus dangereux, une vingtaine de polluants sur plus de 2000 molécules qui sortent des cheminées; aucune étude n'a été faite sur la nocivité de molécules émises qui ne tolèrent aucun autre seuil que zéro, comme les perturbateurs endocriniens (mercure, plomb, cadmium, PCB, dioxines bromées PBDD/F) et autres particules non encore réglementées qui ont des impacts sanitaires avérés (ex : particules ultrafines).

Aucune étude, contrairement à ce qui ressortait du bilan de la concertation sur les effets du cocktail de molécules respectant ou non les seuils réglementaires, respiré en permanence par les riverains de l'installation n’est envisagée.

Qu'à Paris, on ne puisse pas trouver un lieu faiblement urbanisé cela se comprend, mais à Limoges déplacer de 5 à 10 km pour se retrouver dans une zone très faiblement urbanisée est possible. Ne retenir que le coût supplémentaire des infrastructures et des réseaux à construire sur ces 5 à 10 km pour se relier par exemple au réseau chaleur est affligeant. D’autant plus affligeant, si l'on considère que pour le même investissement, un incinérateur plus petit répondant à la mise en place d'un plan prévention plus audacieux, et éloigné de lieux d'habitation dense est tout à fait possible, mais non étudié. 

La décision de maintenir l'implantation à Beaubreuil fait prendre un risque sanitaire que les décideurs jugent ''acceptable'' pour les 25000 habitants de Beaubreuil, du Palais-sur-Vienne et de Rilhac-Rancon.

Comme nous le demandons, en éloignant l'incinérateur de zones urbaines, nous prenons simplement le risque d'améliorer la situation sanitaire des populations concernées !

 Comment en est-on arrivé là ?

Les membres de l'Entente Intercommunale et Limoges Métropole en particulier ne semblent pas avoir pris la mesure de ce qu'imposent les nouveaux droits légaux européens sur la participation du public au processus décisionnel sur les grands projets ayant des répercussions environnementales.

Le Livre blanc de 2001 de la Commission européenne sur la gouvernance (CE, 2001) insiste sur l'accès à l'information et la possibilité de participer à la prise de décisions publiques comme des droits démocratiques fondamentaux, principe établi il y a maintenant deux décennies par la Convention d'Aarhus.

En octobre l’AEE (Agence Européenne pour l'Environnement) publie des réflexions sous forme d'une conférence sur « Les arguments en faveur de la participation du public », insistant sur le fait que la participation du public est devenue une question de justice et de démocratie.

Historiquement, les processus de participation étaient souvent conçus et organisés en haut vers le bas (descendantes) par les décideurs, la participation perçut comme un simple avis en retour, au mieux comme un échange. Dans ce cas la participation qui reste symbolique peut faire plus de mal que de bien.

Les membres de l'Entente Intercommunale ont misé sur une pratique ancienne de la participation descendante doublée d’une conception technico-optimiste de résolution de problème (que le changement technologique en général entraîne plus d'avantages sociétaux que de dommages et de risques) – ici le nouvel incinérateur utilisant les meilleures technologies possibles clôt le débat et offre à leurs yeux toutes les garanties pour le public. Cette attitude les dispense de se poser des questions difficiles sur les limites de nos connaissances et ce que cela implique pour la gouvernance.

Au contraire d'une position d’expertise tranchée, avoir une position réflexive ou humble permet de se concentrer sur les questions suivantes : « Quelles alternatives les questions posent-elles ? Qui est le plus susceptible d'être blessé ? Qui perd et qui gagne ? Comment pouvons-nous mieux savoir ?». Cet argument montre alors clairement que la participation et l'engagement sont essentiels pour parvenir à des positions de justice et d'équité souvent posées par le public.

Il y a peut-être alors une question centrale à discuter. Quels changements culturels et institutionnels sont nécessaires pour reconnaître suffisamment la participation du public en tant que source de connaissances, de créativité et de sagesse – c'est tout ce qui peut être souhaitable dans le débat concernant la gestion de déchets.