Remarques sur le projet d'autoroute concédée et l'alternative pour la RN147 pilotées par la DREAL Nouvelle-Aquitaine pour la Préfète de Région.

 

I) Contexte du projet

  La RN147 entre Poitiers et Limoges est route nationale pour l'essentiel à deux voies, limitée à 80km/h avec des qualités de route médiocres, des zones accidentogènes reconnues, une traversée des agglomérations difficile et une possibilité de dépassement réduite. La durée de temps de circulation sur ces 120 km dépasse souvent les 2 heures.

Depuis de nombreuses années, des projets d'aménagement sont annoncés, sans cesse repoussés, faute de réelle volonté de la part d'élus régionaux ou du gouvernement.

 Si nous voulons aller vite, il est nécessaire de prendre le temps de vérifier la pertinence, la cohérence et la conformité du projet et de l'alternative proposée avec les besoins de la population, des usagers et des documents légaux existants.

 Des projets d'amélioration de la RN147 sont d'ores et déjà en cours de finalisation.

Le contrat de plan État-région (CPER) 2015-2020 de la région Nouvelle-Aquitaine prévoit cinq projets pour améliorer très fortement les conditions de circulation sur la RN 147.

• Aménagement de l’entrée sud-est de Poitiers à Mignaloux-Beauvoir ; (13km)

• Déviation de Lussac-les-Châteaux ; (8,5km)

• Aménagement à 2x2 voies au nord de Limoges ; (6,5km)

• Aménagement de créneaux de dépassement au sud de Bellac ; (8,7km)

• Aménagement du contournement nord de Limoges (RN520) entre l’A20 et la RN147 ; (3,3km).

 Ces aménagements représentent un montant de 450 millions d'euros.

 Selon le dossier, « le projet d’autoroute concédée » emprunterait notamment la déviation de Fleuré (9,2km) et la déviation de Bellac (8,7km), et également les cinq projets prévus au contrat de plan État-région (CPER) 2015-2020 de la région Nouvelle-Aquitaine.

C'est dans ce contexte d'amélioration en cours que l'état propose cette étude d'autoroute concédée qui absorberait tous les projets d'aménagement du contrat de plan (450millions) plus les améliorations déjà réalisées (contournement de Bellac...) .

 

II) Le coût du projet d'autoroute concédée

 Valeur de l'investissement total de 823 millions à 1,208 milliards d'€ (valeur 2020) (page 83) auquel il faut ajouter les 450 millions d'€ des aménagements programmés soit 1, 658 milliards d'€.

L'état et les régions participeraient à hauteur de 771 millions d'€ (pages 83) + 450 millions des aménagements programmés soit 1,221 milliards sur les 1,658 milliards.

 Remarques et demandes

On risque de faire perdre du temps.

L’étude de l'autoroute concédée et les débats qui en découlent risquent d'empêcher de mobiliser les forces pour réaliser les cinq aménagements déjà programmés au CPER ; ces cinq aménagements devant être intégrés au projet autoroute devront être adaptés (maître d'ouvrage, opérateur, adaptation des entrées et sorties...).

a) Quelle garantie pouvez-vous apporter que les aménagements se réaliseront indépendamment de la réalisation de l'autoroute concédée si cette dernière est actée ?

b) Ces projets seront-ils pris en compte dans les études d'impacts (environnementales, biodiversité, artificialisation des sols...) ?

 

III)  Objectifs de la concertation préalable

 Le champ de la concertation est particulièrement large. Il est important que l’ensemble des parties prenantes ait connaissance des dispositions légales. L’article L121-15-1 du Code de l’environnement précise bien que la concertation préalable permet de débattre :

• De l’opportunité, des objectifs et des caractéristiques du projet ;

• Des enjeux socio-économiques qui s’y attachent ainsi que de leurs impacts significatifs sur l’environnement et l’aménagement du territoire ;

• Des solutions alternatives ;

• Des modalités d’information et de participation du public après concertation préalable.

 

IV) Quelle est l'opportunité du projet proposé

 ''La construction d’une autoroute financée par une concession est-elle la meilleure réponse aux enjeux de mobilité ?''

Le dossier de concertation présente notamment les enjeux du territoire dans lesquels pourrait s’inscrire le projet. À ce titre il devrait s'inscrire dans le plan gouvernemental pour la période 2019-2037 défini dans le cadre de la loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation de mobilités (LOM), comme le fait bien remarquer l'Autorité Environnementale (AE) dans son avis du 9 novembre 2021. 

La loi mobilité précise le cadre strict de planification s'appuyant sur les travaux des assises de la mobilité et les conclusions du conseil gouvernemental d’orientation des infrastructures (COI).

Or, ni la loi ni le COI n'évoquent le projet.

 Ce projet d'autoroute concédée entre-t-il dans les objectifs de la loi sur la mobilité qui sont de réduire les émissions de gaz à effets de serre, de réduire l'empreinte environnementale, de développer et moderniser les transports collectifs, d'améliorer les déplacements dans les zones rurales et périurbaines ?

Ce projet d'autoroute concédée correspond-il aux objectifs du COI ?

Le COI précise dans ses décisions que l'heure n'est plus aux grands projets : "l'intérêt général est aujourd'hui de donner la priorité aux mobilités quotidiennes. « La priorité est de mieux utiliser les infrastructures existantes et de les moderniser, en rattrapant le retard d'entretien accumulé sur les routes nationales ". Si certains aménagements sont nécessaires pour décongestionner certains axes, "l'augmentation de capacité et la création de voies nouvelles ne sont que rarement des remèdes pertinents".

Il complète : "L’amélioration de l’offre routière doit être ciblée sur des objectifs de sécurité, de réduction des émissions et des nuisances aux riverains, et de facilitation de la circulation des transports collectifs ou partagés".

 De plus, en août 2021, la loi climat et résilience comporte de nombreuses dispositions pour favoriser la promotion des alternatives à la voiture individuelle et à la lutte contre l’artificialisation des sols, afin de limiter l’étalement urbain.

Enfin, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET Nouvelle-Aquitaine) se fixe des objectifs stricts de réduction de l'artificialisation de sols et de lutte contre l'étalement urbain (p 21).

 Le projet d'autoroute concédée n'entre pas dans le cadre défini par les documents légaux et administratifs existants (loi mobilité, COI, loi climat, SRADDET)

 

V) Inopportunités environnementales

 Comme le montre le document de concertation (p.20) L’État français s’est engagé dans l’accord de Paris à lutter pleinement contre le réchauffement climatique. Ce dernier relevant des activités humaines, principalement par les émissions de gaz à effet de serre (GES). D’où proviennent-ils ? Majoritairement pour la France, du transport.

 Avec le projet ce sera : 

 - plus d'émissions de gaz à effet de serre

Alors qu’il conviendrait de tout mettre en œuvre pour diminuer les émissions dues aux transports, et ce dès demain, il est proposé un projet d’autoroute permettant aux usagers de rouler davantage et plus vite, donc d’émettre plus de GES. L'objectif du projet est bien de développer les échanges routiers entre Poitiers et Limoges jugés trop faibles tels que décrits page11 du document.

 - plus d'artificialisation des sols, contraire aux objectifs légaux et stratégiques

L’emprise du projet sera responsable d’une artificialisation directe d'environ 800ha, auxquels il faut ajouter les 5 projets inscrits dans le contrat de plan état région.

À cela il convient de chiffrer l'étalement urbain autour de chaque échangeur, dans un contexte de stabilité de la démographie (p23). La création d’une autoroute facilite les déplacements et augmente en conséquence les distances que les personnes consentent à pratiquer entre leur domicile et leur travail.

 Le projet, tel qu'il est, est en contradiction avec les objectifs affichés dans le SRADDET et les documents d’urbanisme qui en découlent (densification des centres-villes et maîtrise de l’expansion de l’habitat pavillonnaire et de zones d’activité).

 Le projet ne prend pas en compte les évolutions législatives et règlementaires, fruit d'une réflexion démocratique survenue en 2022 et 2021. Le SRADDET de Nouvelle-Aquitaine comporte les orientations stratégiques précises qui reprennent les objectifs de la loi :

  •  « Priorité donnée à la modernisation de la ligne « POLT » [Paris-Orléans-Limoges-Toulouse]. » pour désenclaver l’agglomération de Limoges.
  •  Le SRADDET porte comme objectif décisif la réduction de 50% de la consommation foncière par rapport aux pratiques antérieures. » Cela se traduit par l’objectif n°31 : « Réduire de 50% la consommation d’espace à l’échelle régionale, par des modèles de développement économes en foncier. » Le texte précise : « Pour ce faire, la Région Nouvelle-Aquitaine fixe un cap en proposant de réduire de 50% le rythme de la consommation foncière sur le territoire régional à l’horizon 2030. Il s’agit de limiter la transformation des espaces naturels, forestiers et agricoles en espaces urbanisés et de tendre, à long terme, à la neutralité foncière. La référence pour mesurer l’évolution de la consommation foncière est la période 2009-2015. »

 La prise en compte sérieuse des objectifs de diminution des GES impose un délaissement des moyens de locomotion individuels au profit des transports en commun ; ni le covoiturage ni l’électrification des véhicules ne pourront permettre la baisse de 5% par an des émissions qui devait être réalisée pour tenir l’objectif de limitation à +2°C du réchauffement planétaire.

Rien dans le document de concertation en dehors de quelques considérations générales ne donne une analyse de l'évolution des GES que générera l'autoroute depuis la phase de conception, de réalisation, en incluant notamment les émissions directes et indirectes du chantier, du changement direct et induit d’affectation des sols, et des matériaux utilisés sur la base de l’analyse de leur cycle de vie.

 Au vu des éléments fournis dans le document de concertation, le projet tel quel est en contradiction avec les objectifs affichés, les lois de transition énergétique, les lois mobilités et le SRADDET Nouvelle-Aquitaine.

 

VI) Le projet d'autoroute correspond-il à un besoin de la population ? 

 Dans sa configuration actuelle, la RN147 est principalement un axe de desserte locale. Elle est essentiellement utilisée par des usagers qui se rendent chaque jour sur leur lieu de travail dans les agglomérations de Poitiers et Limoges.

Dans le document « Diagnostic et état initial » on décrit la situation suivante :

  •  13700 personnes font des navettes quotidiennes entre deux communes pouvant conduire à emprunter la RN147, une grande partie entre Lussac les Châteaux et Poitiers, une autre grande partie entre Bellac et Limoges, ce sont des déplacements domicile /Travail
  •  de l’ordre de 100 personnes seulement font la navette quotidiennement entre Poitiers et Limoges.

Dans le dossier concertation sur l'alternative (p75) il est précisé qu’entre Lussac les Châteaux /Bellac, en raison du faible trafic routier sur cette section, il n'est pas nécessaire de prévoir un aménagement lourd !!! Alors pourquoi une autoroute ?

 

Pour la population l'autoroute sera une gêne supplémentaire

 - pour un riverain :  il devra faire une distance supplémentaire pour aller chercher l'un des 8 échangeurs prévus sur les 110 km.

- davantage de circulation dans certaines villes : dans le projet, il est bien précisé que tous les aménagements déjà réalisés, les contournements et sections aujourd'hui déviées (p.8 du dossier de concertation) seront intégrés à l'autoroute payante.

La création de cette autoroute payante entraîne l’obligation de prévoir un itinéraire de substitution gratuit aux usagers. L’itinéraire de substitution proposé serait celui de la RN147 dans sa forme actuelle, à l’exception des aménagements déjà réalisés ou programmés, intégrés au projet d’autoroute.  À ces endroits, les usagers de l’itinéraire de substitution devront emprunter les centre-bourgs concernés. C’est pourquoi le temps de parcours de l’itinéraire de substitution sera allongé par rapport à la situation actuelle.

Les projections réalisées dans le dossier de concertation montrent qu'environ 50% des automobilistes utiliseront l'itinéraire gratuit. Ainsi les gens de Bellac qui se sont mobilisés pour leur déviation vont se retrouver 40 ans en arrière avec une circulation aggravée ; aucun problème de traversée de village ne va se trouver réellement solutionné et tous les lieux accidentogènes vont demeurer.

(page 34) Les usagers de la RN147 vont de leur lieu de vie en périphérie des grandes agglomérations vers leur lieu de travail entre Lussac les Châteaux/Poitiers et Bellac /Limoges.

  Sur une journée standard, seulement environ 100 personnes empruntent l’itinéraire en intégralité pour aller travailler.

Il nous est donc proposé de dépenser près de 800 millions d'€ dont 771 millions de financements publics pour un projet qui ne correspond pas aux besoins des usagers de la RN147 qui sont pour l'essentiel, les déplacements du quotidien.

Le projet d'autoroute ne correspond pas à un besoin de la population. 

 

VIII) Intérêts socio-économiques du projet  

 (page 40) Le trafic varie selon les lieux entre 6 600 et 10 700 véhicules/jour (deux sens cumulés) sur la RN147, ce qui est modéré pour une route nationale. Les congestions restent limitées, la présence des poids lourds est relativement modérée sur la RN147 (24 % du trafic total à Lussac et 12 % à Nieul), mais les trajets sont anormalement longs.

 En 2017, après l'abandon de la LGV Limoges Poitiers (les inconvénients l'emportaient sur les avantages) le gouvernement a missionné Michel Delebarre pour une étude sur le désenclavement du Limousin.

Dans ses conclusions, le rapport avance 2 propositions :

• proposition de moderniser la ligne ferroviaire existante Poitiers-Limoges pour s’approcher d’un temps de parcours d’une heure.

• nécessité d’aménager plus rapidement la RN147 « sur les portions qui reçoivent le trafic le plus important, c’est-à-dire aux deux extrémités, entre Bellac et Limoges d’une part et entre Lussac-les-Châteaux et Poitiers d’autre part ».

 En 2017 avec le rapport ''Delebarre'' il y a déjà eu débat sur l'idée d'une autoroute, cela n'a pas été retenu, car la circulation sur cet axe ne justifie pas un tel projet ; le débat sur la transition énergétique, les alertes de l’Agence Internationale de l’Énergie montrant que le pic de production de pétrole conventionnel est dépassé, ainsi les entreprises souhaitant se développer sur la base de nouveaux axes routiers, alimentés par une énergie carbonée vont être en difficulté. Le conseil gouvernemental d’orientation des infrastructures (COI) insiste sur la priorité qui doit être de mieux utiliser les infrastructures existantes et de les moderniser, en rattrapant le retard d'entretien accumulé sur les routes nationales non concédées".

L’investissement dans des réseaux autoroutiers n'est plus à l'ordre du jour tout simplement et représente une erreur stratégique de développement, que seule la population locale aura à payer.

 Le dossier de concertation ne laisse entrevoir aucun gain économique, mais avance simplement des opportunités possibles.

 Les deux grands pôles économiques autour de Limoges sont Bordeaux, la capitale de la région et Toulouse, un grand centre aéronautique et scientifique ; sans rejeter l’intérêt de lien avec Poitiers et la façade atlantique ce sont vers ces deux pôles économiques et scientifiques que progressent le plus nos échanges, le renforcement de liaisons avec la capitale de la région Bordeaux (dont la modernisation de la voie ferroviaire) et le renforcement de la ligne POLT entre Paris et Toulouse doivent être des aménagements prioritaires, car ils correspondent aux besoins de populations limousines.  

 

IX) Sur le plan environnemental

  Le dossier de concertation fait quelques constats de situation, mais n'apporte aucune proposition nous permettant d'avoir un jugement réel sur les répercutions d'un tel projet

Milieu naturel et ressources en eau, zone humide, flore, faune, bruit, agriculture, habitat….

La pauvreté du dossier est affligeante.

 

X) Le seul argument restant pour l'autoroute est le temps de parcours

 Tout simplement, la valorisation économique du gain théorique sur le temps de déplacement procuré dans les deux scénarios n’est plus d’actualité. Il apparaît clairement que ce n’est plus un critère d’évaluation suffisant, pertinent et/ou opportun à utiliser pour justifier la construction d’une autoroute.

 

L'alternative présentée au projet autoroute

  Proposant deux tronçons de 2X2 voies de 34 et 42 km,  plus le contournement de Bellac, cette alternative  gratuite aurait le mérite de ne pas renvoyer sur la RN147 actuelle  50% du trafic, mais c'est près de 80 km de route à 2X2 voies, construits à côté de la RN147 actuelle  ( page 77) cela entraînera une destruction de terres agricoles importante (non chiffré)  et surtout cela provoquera comme pour l'autoroute un étalement urbain autour de chaque échangeur, dans un contexte de stabilité de la démographie (p23). La création d’une 2X2, comme l'autoroute, facilite les déplacements et augmente en conséquence les distances que les personnes consentent à pratiquer entre leur domicile et leur travail.

Ce projet alternatif reste en contradiction avec les objectifs affichés dans le SRADDET et les documents d’urbanisme qui en découlent.

 

CONCLUSIONS

 Il faut un vrai projet alternatif.

 *L'amélioration de la RN147 doit être menée en concordance avec l'amélioration de la desserte ferroviaire avec l'objectif de ramener à 1h le temps de trajet train entre Poitiers et Limoges.

 *Constatant que la RN147 ne présente pas de saturation notoire, le projet routier doit se situer autour de 4 axes :

- réalisation prioritaire des 5 zones d'aménagement prévues au Contrat de plan État/Région

- contournement de villes et de bourgs présentant des difficultés de circulation

- suppression de zones accidentogènes

- création de zones de dépassement sur l'emplacement de la RN147 actuelle à 2+ 1 voies (2 voies sécurisées par une barrière et une voie)

  

Pour résumer, sachant que cette autoroute serait achevée en 2030 et faite pour durer au moins un demi-siècle, les preuves ne sont pas données quant à sa rentabilité, sa durabilité, son adéquation aux besoins de la population et sa participation au développement économique du territoire, le projet alternatif proposé ne sert que de faire valoir au projet autoroutier.

 

Il faut un autre projet alternatif que celui proposé dans cette consultation.

 N'hésitez pas à vous informer et donner votre avis avant le 20 mars 2022 sur le site : http://www.nouvelle-aquitaine.developpement-durable.gouv.fr/projet-d-autoroute-poitiers-limoges-r5381.html